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La France interdite

Jean Louis Van Belle
mercredi 24 juin 2015
par Laurence Verdier
popularité : 2%

En 1983, Gilles Delannoy, Jean-Pierre Garnier et Jean-Pierre Imbrohoris partent sillonner la France en hélicoptère, à la rencontre de ses habitants, dont certains sont montrés pour la première fois à visage découvert.

En 1970, Jean Louis Van Belle, le réalisateur du très singulier Sadique aux dents rouges tourne le mondo Paris Interdit, une rareté censurée dès sa sortie, où il montre une capitale étrange avec des habitants insolites dont un coiffeur de cadavres, un vampire hantant les abattoirs, un mariage de travestis, des fans d’Hitler, un cours de ballet composé de danseurs qui auraient pu tourner dans Freaks, des gourous libidineux en devenir, etc...

Comme un passage de témoin, la jeune parisienne nue au language chatiée de Paris Interdit - roulant jusqu’à la Place de l’Etoile sous les regards incrédules et charmés des conducteurs parisiens - laisse sa place à la conductrice noctambule et nue elle-aussi de La France interdite, roulant trop fardée et s’adressant à la caméra (qui la filme sans autorisation) avec des gestes obscènes : terminées les naïves années 70... bienvenue dans les extravagantes années 80 !

Ces français de 1983 sont bien réels et leurs déviances authentiques. Après un an de recherche et de persuasion, les trois réalisateurs ont mis en lumière une France mystérieuse, parfois violente, faisant découvrir des lieux insolites dans des régions pourtant plus réputées pour leur patrimoine que pour ces habitants s’adonnant aux plaisirs et perversions les plus inavouables. Par le biais de la caméra subjective, le spectateur va pénétrer dans cette France secrète connue des seuls initiés. Des français adeptes de voluptés inconnues du grand public, des habitants « natures », sans mise en scène, ni effet sonore superficiel, accentuant ainsi une réalité taboue.

Tandis que la voix imposante de l’animateur de Europe 1 Christian Barbier se fait entendre, une vue aérienne montre brièvement quelques paysages du patrimoine français pour terminer par une vue en contre-plongée de parisiens bronzants nus sur les toits d’un Paris postmoderne... et sur la musique dynamique des synthétiseurs du compositeur André Georget (musicien pour Alain Bashung sur l’album Chatterton).

Toujours par le biais de la caméra subjective, Christian Barbier (en voix-off) nous entraîne par quelques plans succincts dans le Paris des noctambules, pour nous faire pénétrer bien vite dans la première véritable séquence (premier interdit) de ce document : un studio de photos, où le summum de la mode avant-gardiste parisienne bat son plein. Le cinéphile qui s’est égaré dans le visionnage de ce mondo, pourra, après un terrible effort, penser à quelques scènes du film Les yeux de Laura Mars, mais seulement après un gros effort alors... La robe de mariée transparente et avant-garde d’un(e) certain(e) Lulu (La Vilaine Lulu de Yves Saint-Laurent ?) « au siècle des robots (elle) paraîtra romantique » annonce imperturbable Christian Barbier, avant de conclure cette première séquence par cette question : « Audace, dérision ou provocation ? » Il n’aura sans doute jamais la réponse, ni même jamais vu la moindre image de ce mondo.

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Le deuxième interdit nous fait suivre les pas d’une jeune femme plutôt jolie, mais somme toute banale, qui marche d’un pas décidé vers de curieuses coulisses. Le spectateur rentre avec elle dans un Peep-show, où le tenancier l’accueille placidement, tout en annonçant à son micro, devant quelques écrans miniatures, la strip-teaseuse à venir : une ancienne Miss Normandie. Plus tard, nous retrouvons notre promeneuse au milieu d’une scène cachée par les fameux miroirs sans teint, derrière lequel un jeune homme aux yeux bleus azur, mais au regard d’huître, observe, assis dans une minuscule cabine, notre danseuse entièrement nue se trémousser plus ou moins lascivement. Une scène plutôt clippée...So 80’s !

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Troisième interdit : Paris, une nuit d’été... où « Les phares des voitures du Bois de Boulogne ne s’éteignent jamais ». Dans une succession de pare-chocs, où les plaques d’immatriculations sont cachées par d’énormes carrés noirs, le spectateurs découvre un monde étrange où se croisent et se rencontrent le monde entier. La nuit chaude de l’été suscite toutes les perversions, et la musique d’André Georget devient angoissante quand la caméra s’enfonce dans ce bois mystérieux. Une prostituée annonce que la partouze est à 500 francs. C’est Kalinka, un jeune travestie qui espère un jour rencontrer l’âme sœur.

Quatrième interdit : Paris encore et toujours. Le 21 rue du Vieux Colombier est le lieu le plus privée de la capitale. La caméra y frôle les corps de femmes apprêtées qui dansent tranquillement, et dont les regards fièvreux scrutent d’éventuels gestes équivoques. On quitte bientôt le Katmandou pour un chic salon anonyme où les jeunes femmes rencontrées plus tôt se retrouvent assises dans un moelleux canapé autour d’une table basse miroir recouverte de nombreuses lignes de cocaïne. Totalement désinhibées, elles se mettent à danser dans le salon, affublées de casquettes de cuir par dessus d’impeccables brushings, de fins collants, de chaînes et de petits fouets, sans oublier le tee-shirt marin (griffé Jean-Paul Gaultier ?). Quelques unes semblent provoquer gentiment les autres, puis tout le monde choisit son rôle : dominantes et dominées se lâchent enfin. Maniérées mais sincères.

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Cinquième interdit : « Aux portes de Paris s’étend ce que l’on appelle la Zone... », annonce la voix grave de Christian Barbier. Dans un lent travelling, la caméra nous montre des baraquements, des terrains vagues où, au loin apparaissent les grands immeubles parisiens. Nous nous retrouvons soudain parmi les spectateurs d’un combat « exotique », mais comme le précise la voix-off, « ce rituel évoque la Thaïlande, pourtant ces combats ont été filmés en plein Paris ! ». L’agressivité des jeunes des banlieues est ainsi refoulée des rues pour s’extérioriser sur ces rings (clandestins ?) où des rixes étranges font fureur : les combats de kickboxing.

Sixième interdit : Attention âmes sensibles s’abstenir car cette sixième séquence est la plus dérangeante... en particulier pour les amateurs de voitures de collection ! Nous sommes dans la cour d’une ferme isolée au fin fond de la France profonde. Quelques poules picorent tranquillement, quand, perdues dans les hauts herbes, d’insolites carrosseries rouillées apparaissent à l’embrasure de quelques corps de bâtiments en ruine. Christian Barbier énumère alors le nom de toutes ces carcasses de voitures anciennes qui surgissent devant nos yeux : Bugatti, Lincoln, Lotus Elite, Alfa 2005 Compétition, Panhard Panoramique, et même une Bentley, nous explique-t-il, émerveillé. Une cinquantaine de voitures « qui n’ont pas de prix » rassemblées dans ces bâtiments de ferme et laissées volontairement à l’abandon par leur propriétaire. Dérangeant vous dis-je !

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Septième interdit : Nous voici de retour à Pigalle et sa spécialité locale : le cinéma porno, où les stars ne sont pas celles que l’ont croit, mais le plus souvent des inconnues, voire des vendeuses qui viennent pendant leur pause déjeuner passer quelques casting. Sous les directives d’un réalisateur au langage précieux, elles s’installent timidement sur un petit canapé, et récitent gênées et d’une voix étouffée une ou deux répliques explicites. Puis, les choses sérieuses commencent, et d’un geste gauche, elles se défont alors de leur robe et culotte en coton ; parfois certaines refusent mais d’autres tentent maladroitement des gestes érotiques seules ou avec une autre comédienne en herbe, le rouge aux joues. Une star est peut-être née sous nos yeux. Elle gagnera pas moins de 1OOO francs par film, devenant « une star pour quelques mois, mais classée X pour toujours », précise Christian Barbier d’un air implacable.

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Huitième interdit : Après les combats exotiques de la Zone, il existe un autre rituel étrange dans cette France interdite, c’est celui de la musculation féminine. Dans des salles vouées au culte du corps parfait, des femmes en bikini doré se musclent dans de terribles efforts pour atteindre l’idéal physique. « Mais peut-être que ces salles ne sont en fait que le prétexte de rencontres ? » se demande en voix-off Christian Barbier. Dans un grand écart (après tout, ne sommes-nous pas dans une salle d’exercices physiques ?) stylistique, le spectateur se retrouve dans un sauna exclusivement réservé aux hommes. Dans une atmosphère moite et bleutée, des hommes nus en sueur se regardent, puis osent quelques caressent délicates. Aller dans une salle de musculation féminine pour se retrouver tout de suite après entre hommes au sauna ? On commence à s’y perdre un peu dans cette France interdite !

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Neuvième interdit : Pour la première fois, à visage découvert, des hommes vêtus de cuir de la tête aux pieds et adeptes du sadomasochisme, nous laissent pénétrer dans leur bar privé. Dans un long plan filmé en temps réel, on assiste à une séance d’humiliation, sous les regards complices du barman. Un jeune éphèbe affublé d’une cagoule de cuir sur le visage (le neveu de La Crampe ?) se laisse humilier par des hommes moustachus et virils. Le neuvième interdit se terminera derrière les fins barreaux d’une cage où un homme se badigeonne la main et le bras de gel avant de se livrer à une séance « intense » sur un autre homme aux mains et aux pieds attachés à des chaînes pendues au plafond.

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Dixième interdit : Loin de l’atmosphère enfumée et fiévreuse de notre bar SM, la caméra nous montre maintenant une vue aérienne d’une grande ville fortifiée : Carcassonne (en octobre, précise Christian Barbier). « La région est vouée aux sciences occultes depuis la nuit des temps » , annonce-t-il en racontant un fait-divers local récent : un cadavre a été dérobé pour une messe noire. La musique devient lugubre quand on pénètre ensuite dans un château vouée aux soirées spirites durant les années 30, et laissé depuis en état. Les fantômes ne semblent pas très loin... « Les sectes existent encore », déclare fataliste Christian Barbier. Avec une musique de circonstances, le spectateur se retrouve au pied du Pont du diable, au coeur de l’Ariège, où se produisent toutes sortes de manifestations surnaturelles, lieu propice aux messes noires. Nous allons assister à une cérémonie secrète en pleine nature : une femme non féconde est étendue nue sur un autel de pierre. Un homme habillé d’une longue robe de prêtre et caché derrière une grande cagoule noire commence le rituel en tenant un oiseau qu’il vient de sacrifier au-dessus du ventre de la femme. La scène est brutalement coupée, car il la suite ne serait pas montrable. Christian Barbier déclare fermement qu’il n’est à ce moment plus question de magie...

Onzième interdit : Sur une musique légère et rythmée, le spectateur se retrouve face à une jeune baigneuse aux seins nus dans les eaux bleues de Saint-Tropez. « Babylone moderne ? » s’interroge la voix-off. « L’hypermarché du sexe a remplacé la Dolce Vita », tandis que se succèdent les images de corps d’hommes nus allongés sur la plage dont les sexes endormis sont filmés en plan serré. Le spectateur est ensuite invité à la Voile Rouge, club-plage privé, réservés aux milliardaires. Entre deux ou trois « Ouais ! Ouais ! » le champagne coule à flots, et de jeunes filles et garçons entourent ces vacanciers privilégiés. La fête se prolongera tard dans la nuit sur les hauteurs de Ramatuelle, où une jeune fille aperçue plus tôt au fameux club accompagne une riche vacancière dans sa chambre.

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Douzième interdit : Voici le beau château de Foix, où un couple de français moyens s’y rend une fois par semaine pour « un jeu dont les règles nous échappent » (dixit le solennel Christian Barbier). Dans les souterrains du chateau, l’homme cagoulé joue le maître, la femme en masque et porte jarrettelle blancs joue l’esclave allongée sur une table recouverte d’une moelleuse couverture à carreaux rouge et vert. Ils sont là pour atteindre de nouveaux plaisirs... « au-delà des limites ». Pendant ce temps, un autre couple (dont la jeune femme, un peu gauche mais amusée, semble découvrir pour la première fois les jeux sadomasochistes) attend les ordres du maître de cérémonie : un homme barbu et aux cheveux longs en bataille, un peu serré dans ses jeans. Puis quand les choses se corsent sur la couverture à carreaux rouge et vert, une main se dépêche de régler le viseur de la caméra, la perche de la prise de son vient saluer les spectateurs, bref ce petit moment de panique est sans doute due à l’introduction « laborieuse » d’un gode bien vintage pour madame.

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Ultime interdit : Belle et naturelle, c’est elle : Brigitte Lahaie ! La star du cinéma porno des années 80. Nue, les cheveux au vent, elle monte un magnifique étalon qu’elle a lancé au galop dans la nature camarguaise. Dans un lent travelling, le spectateur l’accompagne dans sa balade sauvage, puis, comme à regret, la caméra s’envole vers un autre patrimoine français (Sic !) : le Mont Saint-Michel. Alors, pour la dernière fois, l’impassible Christian Barbier conclut cet incroyable voyage dans une France désinhibée par cet éloquent : « Ni enfer, ni paradis, des gens qui vont jusqu’au bout, au-delà des limites. »

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Ainsi s’achève l’étrange mondo de Gilles Delannoy, Jean-Pierre Garnier et Jean-Pierre Imbrohoris, révélant la face cachée de la France de 1983. Racoleur, kitsch et nostalgique, La France Interdite restera un mondovni (français Môsieur), mais surtout un hymne à la liberté sous toutes ses formes !



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