L’Homme, la Femme et la Bête (L’Uomo, la Donna e la Bestia) -- Votre note ?
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L’Homme, la Femme et la Bête (L’Uomo, la Donna e la Bestia)

Alberto Cavallone
vendredi 1er avril 2011
par Laurence Verdier
popularité : 2%

Peu connu en France le réalisateur italien Alberto Cavallone a marqué le cinéma transalpin puis tout le cinéma de genre (et extrême) non pas avec son nanar "Le maître du monde" (I padroni del mondo, 1983) ou sa "Baby-sitter" en 1981, mais avec son triptyque surréaliste et scandaleux commencé avec l’étrange "Maldoror" en 1977, suivi de son chef-d’œuvre "El Uomo, la Donna e la Bestia" (connu aussi sous le titre : Spell) réalisé aussi en 1977, pour se terminer avec le choquant "Blue Movie" (1978).

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En 1977, dans la province italienne, le quotidien de différents personnages (un peintre communiste et sa femme scatophile (sic), une jeune prostituée, un boucher amoureux de diverses chairs fraîches, sa femme et sa pathétique fille enceinte, le jeune et beau curé du village sujet de bien des fantasmes) se croisent, dans la ferveur d’une fête patronale de village. L’arrivée d’un jeune éphèbe vagabond bouleverse ce fragile équilibre, pour basculer dans un terrible final (attention aux plus sensibles de nos lecteurs).

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Le personnage principal est un villageois italien s’improvisant artiste communiste (Staline n’était-il pas un grand connaisseur d’art moderne ?). Celui-ci se sert de sa femme paraphilique (notre personnage principal, pas Staline !) pour son art : il réalise des patchworks. Tout comme A.Cavallone réalise son film patchwork, son personnage fait de même avec ses propres tableaux en collant des images d’organes à diverses images de femmes découpées dans des magazines. Sa femme tente, elle, de découper les mamelons de sa bonne…

Un beau couple d’artistes avant-gardiste !

Tandis que la fête religieuse se déroule dans le village, les adolescents se rencontrent pour des joutes amoureuses ou plus virils, sous les yeux du boucher (toujours aussi obsédé par la chair fraîche) très attentif, lui, aux cuisses des jeunes villageoises.

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Un adolescent rencontre le jeune vagabond qui a été blessé dans un combat de rue. Il l’emmène se faire soigner chez le couple d’artistes atypiques, ce qui amènera le film à l’incroyable scène finale. La joie des préparatifs de la fête annuelle, la musique étourdissante de l’orchestre du village feront ressurgir tous les désirs et névroses de chacun, laissant éclater un final épouvantable, voire dantesque.

Le jeune vagabond perturbe les villageois, d’ailleurs au début du film il sortira du cimetière pour errer dans le village, puis sera rouer de coups dans le combat de rue. Il transporte avec lui toutes les attentes, tous les désirs refoulés des personnages. Tandis que la fête touche à son paroxysme, l’atmosphère du film se charge d’une violente ferveur, accentuant sans doute la folie de la femme de l’artiste.

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Pendant tout le film, les personnages n’aspirent, pour le spectateur, à aucune empathie (excepté peut-être pour le vagabond... mais bon, c’est un jeune éphèbe après tout), mais aspirent plutôt à une sorte de rejet de leur attitude plus proche de l’animalité, pour se transformer en simple déchet. J’évoque, là, l’hallucinante scène finale de scatologie.

En réalisant Spell, film patchwork et scandaleux, le réalisateur Alberto Cavallone voulait, plutôt que choquer ses compatriotes, éclabousser toutes les valeurs de la société italienne de l’époque : la religion, la sacro-sainte famille et même l’amour (formaté ?). Le réalisateur issu du film documentaire, et homme très cultivé, s’est beaucoup inspiré des maîtres du Surréalisme, utilisant d’ailleurs pour l’affiche de son film, une œuvre significative du peintre Marx Ernst.

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Toute l’œuvre d’Alberto Cavallone, en particulier durant ses années de contre-culture cinématographique, s’inspirera du travail de nombreux artistes complexes, comme Georges Bataille (Histoire de l’œil), Sade, et bien sûr Lautréamont (Les Chants de Maldoror - extrait :"(...) tu rappelles au souvenir de tes amants, sans qu’on rende toujours compte, les rudes commencements de l’homme, où il fait connaissance avec la douleur, qui ne le quitte plus").

Pour Spell, la récurrence visuelle au tableau de Gustave Courbet L’Origine du monde est frappante, tel un leitmotiv acide durant tout le film. On peut évoquer aussi, dans une vision plus agréable certains tableaux de Giuseppe Arcimboldo.

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Le réalisme du film se mêle perpétuellement au surréalisme sous toutes ses formes d’inspiration créant un film difficile dans un patchwork sans véritable ligne narrative, dénonçant l’emprise de la religion et des idées marxistes dans la classe moyenne italienne. C’est une société qui s’essouffle, où les protagonistes, à la fois cruels et passionnés, se croisent, s’observent pour mieux s’utiliser… jusqu’à la folie.

El Uomo, la Donna e la Bestia, est une sorte de succession de tableaux étranges et sombres, s’ouvrant sur une hideuse tête de coq. Tableaux à la fois réalistes et métaphoriques qui malgré tout forment une histoire cohérente, où le sexe est sous-jacent et vécu de manière laborieuse. D’ailleurs la référence à l’œuvre de Georges Bataille (déjà évoquée plus haut) est flagrante lors de la scène incroyable (mais il y en a tant d’autres) où l’une des protagonistes place un œil de bœuf dans son vagin !

J’avais prévenu les lecteurs : film extrême.

Aujourd’hui Spell est toujours un film choquant. Les amateurs de l’œuvre d’Alejandro Jodorowsky (Santa Sangre, La Montagne Sacrée) reconnaîtront cet univers surréaliste et lugubre à l’humour noir et obscène.

La représentation religieuse, la représentation animale aussi, sont une sorte de dénonciation de la nature de l’Homme : sempiternelle et lente dégradation du genre humain, tandis que celui-ci aspire à sa réussite matérielle (et scientifique ?).

A. Cavallone nous offre un film lugubre et choquant et renvoie encore et toujours à Lautréamont – Extrait des Chants de Maldoror  : "(...) c’est peut-être la haine que tu veux que j’invoque dans le commencement de cet ouvrage ! Qui te dit que tu n’en renifleras pas, baigné dans d’innombrables voluptés, avec tes narines orgueilleuses, larges et maigres, en te renversant le ventre (...)".

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Un film inclassable et glauque, étrange et dérangeant. Spell est le second tableau d’un tryptique philosophique qui donne la vision très personnelle d’une société italienne (occidentale) déclinante d’un réalisateur extrême. D’ailleurs ce tryptique de l’italien Alberto Cavallone collait bien avec le cinéma de genre de l’époque : celui du film gore et du film de cannibales, mais aussi des débuts de la Sexploitation.


A réserver donc à un public très averti.

A noter aussi la très envoutante bande musicale de Claudio Tallino.



Commentaires  (fermé)

Logo de Laurence Verdier
lundi 4 avril 2011 à 16h21, par  Laurence Verdier

Bien vu pour le film de Pasolini : le personnage de l’éphèbe vagabond est là aussi un élément catalyseur et déclencheur. Quant à Terence Stamp il incarne souvent dans ses films, le personnage mystérieux au visage angélique et tentateur à la fois... Mais vous connaissez bien ce sujet, n’est-ce-pas cher docteur Furter.

Logo de dr frankNfurter
dimanche 3 avril 2011 à 12h21, par  dr frankNfurter

Oui on ne parle pas assez du trouble que peut occasionner l’éphèbe dans la vie réelle et au cinéma... comme le film de Pier Paolo Pasolini "Théorème" sorti au début de la décennie 70 avec Terrence Stamp dans le rôle de l’éphèbe angélique (?) catalyseur de toutes les pulsions et frustrations renfrognées.

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