Rubber
Quelque part dans un coin un peu désertique de Californie, un pneu semble s’éveiller à la vie. Après quelques premiers pas - ou plutôt quelque premiers tours - hésitants, le pneu découvre son environnement et semble décidé à tout détruire sur son passage : bouteille d’eau, scorpion ... Et ce qu’il ne peut écraser, le pneu le fait exploser en utilisant un pouvoir psychokinétique ! Cela vaut aussi pour les humains qu’il rencontre, en particulier une jeune femme, que le pneu va prendre en chasse. Sans aucune raison...
On ne peut pas s’empêcher d’éprouver un minimum de sympathie pour un projet de ce genre ! Prendre comme personnage principal d’un film un pneu, il fallait oser. Et aller réaliser le film en Californie avec des moyens réduits à leur plus simple expression, il fallait le faire aussi. C’est d’autant plus bluffant que techniquement, le film est plutôt réussi. On sent que le réalisateur a le sens du bon cadrage, de la photo qui claque et qu’il a tout retenu (et bien assimilé) des films de genre qui ont sans doute bercé sa jeunesse.
Et le début du film ne fait que renforcer cette sympathie, du fait de son originalité. En effet, le film démarre sur un plan nous montrant quelques chaises vides posées au beau milieu d’une route ... Arrive alors une voiture qui renverse délicatement chacune des chaises avant de s’arrêter. Un personnage sort alors du coffre de la voiture pour venir expliquer au spectateur, face caméra, une théorie selon laquelle un grand nombre de choses se produisent dans les films, sans aucune raison (la scène qui vient de se dérouler en étant elle-même un exemple flagrant). Et pour finir, un autre personnage remet à un certain nombre de badauds une paire de jumelles qui va leur servir à observer les événements qui vont se dérouler autour du pneu : ce sont les spectateurs !
Bien vu, se dit-on en attendant la fin de ce prologue pour en arriver au film proprement dit ... Sauf qu’il ne s’agit pas d’un prologue ! En effet, le réalisateur va revenir régulièrement sur eux et en faire des personnages à part entière du film... tout en n’hésitant pas non plus à interpeller les autres personnages du film, à plusieurs reprises, pour rappeler que rien de tout cela n’est vrai, que ce n’est qu’un film et même, à un moment donné, qu’ils peuvent "rentrer chez eux" !
C’est amusant... mais aussi un peu usant, à la longue. Car cette distanciation quasi-permanente ne pernet pas au (vrai) spectateur de s’immerger dans le film et du coup désamorce totalement l’éventuel suspense qui aurait pu s’instaurer. Le réalisateur assume ces choix, en expliquant qu’il n’a pas voulu aller vers une véritable série B, qu’il n’a pas voulu orienter son film vers les codes habituels de l’horreur, qu’il a volontairement choisi de lui donner un rythme assez lent au détriment de l’action. Et effectivement, on voit assez bien ce que Quentin Dupieux n’a PAS voulu faire. En revanche, on voit plus difficilement ce qu’il a REELLEMENT voulu faire...
Le problème, c’est qu’à force de chercher à dérouter, à déstabiliser, à questionner le spectateur, le film finit par perdre toute signification (sous réserve qu’il en ait jamais eu une). Et si on voulait utiliser une de ces formules à l’emporte-pièce souvent appréciées des critiques, on pourrait dire qu’à force de vouloir illustrer sa théorie du "aucune raison", Quentin Dupieux finit par démontrer celle du "n’importe quoi".
C’est dommage, parce que son film n’est pas dénué de certaines qualités, notamment d’une photo de qualité et d’un humour pas ordinaire. Mais à l’autre extrémité, au vu de certaines scènes comme celle où les "spectateurs" se jettent comme des porcs sur la nourriture qui leur est amenée, on peut se demander quel jugement le réalisateur porte sur son public... de même qu’on peut finit par se demander s’il ne se moque pas de lui. Sans oublier un carton rouge pour la bande son, nullissime.
Rubber est donc un film qu’on pourra recommander aux étudiants en cinéma et à tous ceux qui aiment réfléchir sur l’objet cinématographique en tant que tel. A tous les autres, à ce "grand public" que le réalisateur semble mépriser et aux amateurs de fantastique et d’horreur qui viennent sur ce site, on recommandera prudemment de se tenir à l’écart. Quant au réalisateur, on pourrrait lui recommander un peu plus d’humilité et un peu moins d’élitisme...
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