Les Fauche-Mort
Le vampire de Nathalie Suteau ne vient pas des Carpathes, il n’est pas âgé de plusieurs siècles, il n’a pas été mordu (pas que l’on sache, du moins, dans le roman) par un autre vampire, il ne fréquente pas d’autres créatures du même genre et ne rêve pas de conquérir le monde. Il vit sans problème à la lumière du jour, ne craint pas les croix, ni l’ail et ne se transforme pas en chauve-souris. Bref, vous pouvez oubliez le folklore habituel : ce vampire-là n’est qu’un homme atteint d’une maladie et qui a découvert un jour que l’absorption de sang pouvait le guérir. Momentanément ...
L’idée de faire du vampirisme une maladie n’est pas tout à fait nouvelle. Dan Simmons, dans Les Fils des Ténèbres avait déjà imaginé que cela puisse résulter d’une malformation génétique forçant ses victimes à boire du sang pour régénérer leur système immunitaire... ce qui n’est sans doute pas très éloigné de la vérité, puisqu’on peut supposer que le mythe du vampire trouve son origine dans une maladie bien réelle, la porphyrie (ou maladie de Günther), dont les principaux symptômes sont l’allergie à la lumière et une coloration rougeâtre des dents ...
Mais l’originalité de Stuart Shelby, le vampire imaginé par Nathalie Suteau, réside dans la nécessité de s’alimenter avec du sang provenant de personnes qui l’aiment (le sang des autres n’étant pas "nourrissant"). Heureusement pour lui, il est un acteur célèbre... et une fois sa famille décimée, il peut se rabattre sur ses fans !
C’est là qu’intervient Julie, une jeune femme sans scrupules, cynique, égocentrique, ambitieuse et, disons-le franchement, vénale... mais néanmoins sympathique et qui est sans doute le meilleur atout de ce roman !
Julie tient un journal, dans lequel elle raconte bien entendu sa vie : l’ennui monotone d’une jeune cadre dynamique dans une banque qui l’est visiblement beaucoup moins et qui l’a releguée dans un petit bureau isolé, dans lequel elle passe beaucoup de temps à surfer sur le web... ses tentatives pour sortir de cette routine... sa rencontre avec Milo, un jeune hacker.
Et parmi les moyens que s’invente Julie pour tromper l’ennui de son petit bureau isolé ... il y a son activité sur certains forums, où elle prend un malin plaisir à s’inventer un personnage. Jusqu’au jour où elle trouve accidentellement dans un restaurant une clé usb, sur laquelle elle découvre les documents d’un journaliste enquêtant sur Stuart Shelby. Toujours pour se distraire, elle va alors se faire passer pour une "fan" de Shelby, sur un forum spécialisé et diffuser sous cette fausse identité (protégée par les talents de Hacker de Milo) le document du journaliste. Sans savoir que cela l’amènerait tout droit vers Shelby, toujours à la recherche de fans ...
On le voit, Nathalie Suteau réalise dans ce roman un habile mélange : un thème ancien (celui du vampire), des héros très actuels et une bonne dose de technologie. Les mordus (désolé, c’est plus fort que moi ...) d’informatique y touveront leur bonheur, entre les IRC et les adresses IP, sans toutefois que cela soit trop lourd à digérer pour les autres. Et certains extraits de son journal sont de petits bijoux d’ironie mordante (décidément ...), un vrai régal ! Une sorte de Bridget Jones, en somme, mais en beaucoup moins "fleur bleue"...
La première partie des Fauche-Mort est franchement intriguante, et on dévore le journal de Julie en se demandant où Nathalie Suteau veut en venir... Car on sait bien de quoi il s’agit (un vampire), mais on se demande comment tout ce petit monde va se rencontrer, et ce qui va bien pouvoir se passer ensuite (ce qui, rappelons-le au passage, est bien la moindre des choses qu’on peut demander à un roman, même si beaucoup d’écrivains semblent l’oublier...). Et rassurez-vous, je ne vous ai pas tout dévoilé, loin de là !
La seconde partie est plus classique, avec un peu moins de surprises et de rebondissements... La Julie amoureuse est curieusement moins fascinante que la Julie "n’aimant rien ni personne" du début. Mais le roman reste très agréable à lire, et même si on se doute bien que la fin réserve quelques surprises... on n’est pas déçu par cette fin, qui en outre laisse la porte ouverte à une éventuelle suite, ce qui serait une excellente idée !
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