Alice ou la dernière fugue
Pour reprendre un adjectif déjà usité naguère (1), réitérons nos choix lexicaux et affirmons sans la moindre animosité qu’on aura du mal à nous faire avaler que la filmographie de Claude Chabrol n’a pas connu certains ratés et autres ventres mous durant la décennie 70, de l’aveu même du cinéaste au passage, laissant conjecturer au préposé la présence de plusieurs films par conséquent anecdotiques (2). Le culte autour de la belle batave Sylvia Kristel s’étant émoussé au cours des années, si Alice ou la dernière fugue n’est pas à proprement un long-métrage correspondant à la catégorie susnommée... ce dernier s’en rapproche tout de même du fait de l’oubli qu’il suscite de nos jours. Erreur s’il en est puisque ce film de 1977 est un des rares essais concluant du cinéma français dans un genre qui lui est inconnu ou presque, le cinéma fantastique (3).
A demi affalé sur son joli tapis de sol à poil blanc et son gros coussin bleu nuit en velours, gobant au passage quelques grains de raisin pour tromper l’ennui, ou l’empêcher de sombrer trop rapidement dans la torpeur engendrée par un programme télé des plus rébarbatifs, voici le dernier spectacle sensuel proposé par son mari auquel assiste la belle Alice Caroll (Sylvia Kristel)... avant le départ définitif de cette dernière, celle-ci supportant difficilement en guise de numéro de charme, l’énième récit des mésaventures professionnelles de son désormais ex-compagnon. Notre héroïne le quitte à tout jamais et prend la route de nuit au plus grand désespoir de son morne sir criant Alice, pour qu’elle revienne. Tandis qu’elle se remémore ses adieux sur une route de campagne déserte, un imprévu survient, son pare-brise éclate. Celle-ci trouve refuge dans une propriété de même que l’hospitalité gracieusement offerte par le maitre des lieux, monsieur Vergennes (Charles Vanel). Après un léger encas préparé par le domestique Colas (Jean Carmet), ce dernier lui montre ses appartements à l’étage en lui répondant mystérieusement que si la pendule est cassée, cela n’a pas d’importance puisqu’ils n’attachent pas une grande importance au temps ici... Une pendule qui se remettra pourtant à fonctionner la nuit venue, accompagnée de bruits distordues interrompant brutalement le sommeil de notre belle endormie.
Le lendemain matin, Alice découvre la maison vidée de ses occupants, ces derniers lui ayant laissé de quoi manger pour son petit-déjeuner. Après s’être restaurée, Alice découvre que son pare-brise a été réparé. Elle décide dès lors de reprendre la route... mais ne retrouve pas le chemin de la sortie. Certes, c’était la pénombre la nuit dernière, il tombait des cordes, néanmoins aucun moyen de sortir de la propriété : un arbre barre le chemin. A pied, la demoiselle tente alors de faire le tour du mur qui délimite le terrain pour retrouver la grille... et découvre qu’en longeant la paroi, celle-ci a tourné en rond ! Les nerfs mis à rude épreuve, quelques larmes commencent à perler le long de sa joue. Quand soudain, un homme tout de blanc vêtu, avantagé par un pantalon des plus moulants (André Dussolier) fait une courte apparition en provenance de la forêt... mais il ne veut ni répondre à ses questions, ni l’aider à enjamber le mur indiquant que ce serait lui donner un mauvais service, d’autant plus que celle-ci découvrira bien vite qu’il n’y a pas d’autre côté par delà le mur... Et comment se fait-il que cet inconnu connaisse son prénom ? Tant de mystères qu’Alice devra découvrir par elle-même ou non...
De part le nom de son héroïne en guise d’hommage, Chabrol inscrit son récit en droite ligne de ceux écrits par l’anglais Lewis Caroll ( De l’autre côté du miroir en particulier), une Alice adulte perdue dans un environnement sinon hostile tout du moins bien étrange, rencontrant au hasard (?) de bien insolites individus avec pour seul point commun, celui de ne pas vouloir lui divulguer les raisons de sa présence. Mais le cinéaste va au-delà de cette référence évidente pour saupoudrer au passage d’autres plus picturales cette fois-ci. Alice ou la dernière fugue fait ainsi la part belle, non sans surprise, au Surréalisme d’un René Magritte, laissant libre court au talent de son directeur de la photographie, Jean Rabier, compagnon de route depuis le début ( Le Beau Serge ). Cette histoire fantastique bercée entre le réel et l’irréel, entre une froide réalité et un cruel onirisme vaut comme on peut l’imaginer par la présence de Sylvia Kristel, véritable moteur du film où tous les éléments étranges du film graviteront autour. Une raison valable de regretter sa courte filmographie au vu de sa prestation dans ce Chabrol méconnu, car ni sa beauté ni sa voluptueuse popularité ne sont en rien un frein à cette histoire surnaturelle (4).
Du reste, l’économie de moyen dont bénéficie le long métrage est du fait de son histoire aucunement un handicap, mais au contraire salutaire, permettant d’avantage d’accentuer l’absurdité des situations. La position centrale de la maison n’est d’ailleurs pas sans rappeler un autre film classique, gothique cette fois-ci, Rebecca , le premier film hollywoodien d’Alfred Hitchcock. Cependant, comme le suggère le titre du film, cette dernière fugue évoque d’avantage comme le laisse présager le récit un autre classique du cinéma fantastique, Carnival of Souls , à l’image du dénouement d’ Alice ... de multiples références qui ne gâchent en rien les qualités de cette réalisation méconnue de Claude Chabrol.
Alice ou la dernière fugue , un film à redécouvrir.
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(1) Enfin il n’y a pas si longtemps en fait, mais qui m’a valu quelques incompréhensions savoureuses.
(2) Donc là nous attendons le Captain au tournant, cachant difficilement un sourire narquois quoique plein de bonhomie en vérité envers ce gentil gredin.
(3) D’autant plus intéressant de la part d’un cinéaste qui fut rattaché à ses débuts à la Nouvelle Vague.
(4) Vu la capacité à mettre des étiquettes, on peut effectivement se demander si le fait d’être Emmanuelle a oui ou non gêné le film, entre les amateurs de lubricité en toc et les autres, Alice a t-elle trouvé son public...