Le Monde, la Chair et le Diable
Même si les examens scolaires sont déjà bien loin dans la mémoire de nos plus jeunes lecteurs, pourquoi ne pas profiter des vacances d’été pour réviser un peu nos classiques.
Le Monde, la Chair et le Diable (The World, the Flesh and the Devil) date de 1959 et reste l’un des premiers films post-apocalyptiques américains.
Son réalisateur Ranald MacDougall est peu connu, certes, mais son film, inspiré du roman de science-fiction The Purple Cloud de M.P. Shiel est remarquable, tant par ses prises de vue inédites, sa beauté visuelle que par ses idées humanistes toujours d’actualité.
Ralph Burton, un afro-américain (joué par Harry Belafonte, qui est aussi le producteur principal du film), se retrouve piégé dans l’un des souterrains de la mine qu’il inspectait. Coincé pendant des jours, il ne réalise pas que le Monde vient d’être détruit par une explosion nucléaire.
S’extrayant difficilement des entrailles de la terre, il découvre un monde vidé de ses habitants, où seuls les amoncellements de voitures forment les vestiges d’une société disparue.
Mais Ralph, ne veut pas se résoudre à admettre être le dernier homme sur Terre. Il décide de partir à la recherche d’éventuels rescapés. Dans un New-York abandonné de tous ses habitants, Ralph rencontre enfin un autre être vivant : c’est une jeune femme blanche, Sarah.
La vie des deux gens s’organise calmement dans un New-York silencieux. Installés confortablement dans de luxueux appartements et profitant de l’abondance de la nourriture laissée dans les magasins, ils ressentent peu à peu une attirance l’un pour l’autre. Mais cet amour naissant, dans un New-York devenu presqu’idyllique, devient malgré tout frustrant pour les deux survivants à cause des codes sociaux qui les avaient tant « façonnés » dans leur ancien monde. Ces valeurs d’un autre temps semblent, surtout pour Ralph, encore bien ancrées dans leurs comportements : la scène où Ralph refuse de s’asseoir à la table d’anniversaire de Sarah, préférant « jouer » son serviteur est si représentative de cette crainte de l’époque (les années 50-60) de briser les barrières sociales et surtout raciales.
C’est alors que Ben Thacker, un homme blanc, débarque pour devenir le troisième et dernier survivant de New-York. Ralph préfère laisser se former le « nouveau couple », refusant l’amour que Sarah était pourtant prête à lui donner. Mais, l’indécision de Sarah pour les deux hommes, provoque la jalousie, puis la haine de Ben. Il décide alors de provoquer Ralph dans un duel mortel et le traque dans les grandes avenues abandonnées d’un New-York post-apocalyptique…
Mais replaçons le film dans son contexte historique chers amis de l’Etrange.
En pleine guerre froide, dans le début des années 60, Hollywood veut produire plus de films catastrophe (Le Dernier rivage ou plus tard Le Survivant]), mais aussi d’anticipation (Les soucoupes volantes attaquent, La Guerre des mondes) pour évoquer les événements politiques de l’époque.
Dans Le Monde, la Chair et le Diable, le fait d’évoquer les dangers du nucléaire en pleine guerre froide permet surtout à Ranald MacDougall, mais surtout à Harry Belafonte très impliqué dans la lutte contre les inégalités, de dénoncer la discrimination raciale. Une seule scène au début du film expliquera la cause d’une Terre dévastée : Ralph découvre des enregistrements radiophoniques lui apprenant une attaque nucléaire totale utilisant une arme radioactive dont les effets deviennent inoffensifs après plusieurs jours (sic !). L’explication faite, le film peut alors aborder une thématique plus sociologique, voire philosophique.
C’est par une mise en scène dépouillée d’effets spéciaux (si chère aux grosses productions actuelles), voire aussi dans la lenteur des déplacements des personnages que les thèmes principaux sont mis en valeur tout le long du film, permettant ainsi de faire du Monde, la Chair et le Diable un film toujours aussi efficace en 2011, bien axé sur le comportement des survivants comme dans Malevil ou 28 jours plus tard voire même le très raté The Road, que sur la catastrophe proprement dite comme dans 2012 ou Armageddon… pour citer quelques mauvais élèves.
Dans un silence cauchemardesque et jonché de papiers emportés par un vent permanent, le New-York des années 50-60 est montré dans des plans inédits à la photographie sublime et fait alors de ce Monde de chair et de diable, une œuvre à la beauté visuelle plutôt rare dans les premiers films catastrophe, prouvant que ce cinéma de genre peut aussi révéler des films d’auteur.
Après avoir lutté pour survivre dans cette mégalopole post-apocalyptique, Ralph et Sarah sont confortablement installés depuis que le jeune homme a réparé les installations électriques. La ville reprend alors son rôle de décor à une intrigue plus humaine : les rapports sociaux (le racisme) et les travers qui en résultent. Ainsi le couple « maudit » constitué par Ralph et Sarah rappellent le couple biblique (la Chair) bafouant les lois de la société (le Monde), provoquant leur déchéance (le Diable). Une scène fait aussi référence à la religion chrétienne, comme le titre du film, scène d’ailleurs cruciale et décisive pour l’histoire : Ralph, traqué par Ben (comme les esclaves en fuite étaient traqués par leur maître) s’arrête devant l’inscription d’un monument. C’est une citation de la bible : « Il sera l’arbitre des peuples et le juge de nombreuses nations (…). Une nation ne lèvera plus l’épée contre une autre, et l’on n’apprendra plus la guerre. »
Cette déchéance n’est donc pas une fin, mais plutôt un renouveau évoqué dans la touchante scène finale et son trio amoureux, tandis que le film se termine avec la mention « The Beginning » (Le Commencement) et non pas par le sempiternel : The End.
Je vous laisse à vos révisons cinématographiques et vous souhaite chers amis de l’Etrange de belles vacances !
A noter la très belle bande originale composée par Miklos Rozsa. A noter aussi les prises de vues d’un New-York vidé de toute forme de vie qui ont dû se faire à l’aube, la circulation ayant été bloquée dans certaines avenues. Méthode utilisée dans une scène de L’Associé du diable (petit clin d’œil à notre rédacteur Joe Black !).
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