La Forêt Sombre
Les intellectrons sont sur Terre et désormais, plus aucune recherche scientifique n’est possible dans le domaine de la physique fondamentale. Pire encore, les intellectrons, invisibles et capables d’êtres partout à la fois ou presque, peuvent rapporter aux Trisolariens en route vers la terre pour l’envahir, le moindre plan qui serait en mesure de constituer un risque pour leurs maîtres. Mais les extra-terrestres ont une faiblesse, en dépit de leur extraordinaire avance technologique : de par leur nature même, ils sont incapables de comprendre les mensonges et les manipulations. Face à cette situation, la Terre désigne quatre Colmateurs, des personnalités reconnues pour leurs capacités en matière de stratégie. Dotés des pleins pouvoirs en matière budgétaire, les colmateurs sont censés élaborer des plans pour contrer les Trisolariens, en brouillant les pistes et sans rien révéler à personne de leurs véritables intentions. Mais en réponse, l’organisation terrestre favorable à la venue des Trisolariens désigne quatre Fissureurs, quatre individus dont la vie va être vouée à comprendre et déjouer les plans élaborés par chacun des Colmateurs. Mais parmi ces derniers, l’un d’eux semble ne pas vouloir jouer le jeu et profiter de son statut pout vivre une voie oisive et paradisiaque. A moins qu’il cache particulièrement bien son jeu...
Autant on pouvait trouver pour Le Problème à Trois Corps certaines références, certaines ressemblances avec des grands classiques de la SF, autant cette fois Liu Cixin nous emmène en terre totalement inconnue ! A ma connaissance (relativement étendue en la matière), il n’y a aucun roman auquel on pourrait comparer La Forêt Sombre, tant les thèmes développés par Liu Cixin sont originaux.
A tel point qu’on se demande en permanence où il veut nous emmener... Et de ce point de vue là, le roman est remarquablement bien construit, car à aucun moment on ne parvient à imaginer le dénouement, qu’on découvre dans les toutes dernières pages de ce pavé qui en compte plus de 700 (dans sa version de poche). En matière de twist final, c’est du Shyamalan puissance dix !
Mais avant cela, Liu Cixin démontre une nouvelle fois la puissance de son imagination et de ses idées. Car au delà du concept étonnant des Colmateurs et des Fissureur, l’auteur développe des principes, des lois, qui ne sont pas sans rappeler les fameuses lois de la robotique d’Asimov. Mais ici, il ’agit de lois s’appliquant à une science inventée de toutes pièces par Liu Cixin (à l’image de la psycho-histoire du même Asimov) : la cosmosociologie.
Ainsi, selon l’auteur, cette science repose sur les deux axiomes suivants :
la survie est la nécessité première de toute civilisation ;
une civilisation ne cesse de croître et de s’étendre, tandis que la quantité totale de matière dans l’univers reste constante.
Il faut ajouter à cela deux concepts :
l’explosion technologique. A un moment donné de son histoire, une civilisation atteint un niveau technologique qui donne une très forte accélération au progrès scientifique, lui permettant de rattraper rapidement son retard sur d’autres civilisations qui étaient jusque là en avance sur elle ;
la chaîne de suspiscion ; deux civilisations entrant en contact supposeront inévitablement que l’autre a des intentions malveillantes, du fait de la distance, de leurs différences et des difficultés de communication qui en résultent.
De tout cela découle le concept de la "forêt sombre", qu’on ne dévoilera pas ici pour ne pas "spoiler" les lecteurs, mais qui est une réponse au paradoxe de Fermi (prix Nobel en 1938) qui posait la question suivante, considérant l’immensité et l’âge de l’univers : s’il y avait des civilisations extraterrestres, leurs représentants devraient être déjà chez nous. Où sont-ils donc ?
Il ne faudrait toutefois pas réduire la Forêt Sombre à ses idées, aussi brillantes soient-elles. Car l’auteur développe avec Luo Ji (le quatrième Colmateur) un personnage particulièremen attachant, qui va vivre une étonnante histoire d’amour... Une histoire, racontée avec beaucoup de sensibilité, comme Asimov (avec tout le respect qu’on lui doit) n’a jamais pu en écrire !
Au final, on peut se demander pourquoi la Forêty Sombre n’a pas obtenu lui aussi un prix Hugpo, comme Le Problème à Trois Corps, car le roman l’aurait mérité tout autant. Peuit-être parce que les deux tomes ont été publiés en Chine la même année (2008) ou peut-être parce que le jury composé d’américains ont considéré qu’un prix Hugo constituait déjà une publicité suffisante pour cet auteur chinois jusqu’alors inconnu du grand public. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas s’inquiéter pour Liu Cixin : tous ceux qui ont lu Le Problème à Trois Corps liront de toute manière La Forêt Sombre !