Les Crimes Du Futur
Dans un futur proche... Brecken, un enfant de 8 ans qui se nourrit exclusivement de plastique est assassiné par sa mère, qui semble le considérer comme un monstre. L’enquête de la police les mène vers un groupe évolutionniste et, pour les infiltrer, la police décide de faire appel à Saul Tenser, un artiste à la mode atteint d’un syndrome d’évolution accélérée qui pousse son corps à générer de mystérieux nouveaux organes et qui organise des happenings lors de séances de chirurgie réalisées par sa compagne Caprice, qui l’opère en "live" devant un public d’amateurs. Tenser finit par rencontrer Lang, le leader des évolutionnistes, qui s’avère être le père de Brecken...
Pur produit du cinéma de genre (mais d’un genre de grande qualité, il faut bien le reconnaître), David Cronenberg a su se frayer un chemin dans le milieu du cinéma, et d’obtenir la "carte" qui lui a permis en 1999 de présider le jury du 52ème festival de Cannes ! Et ses films sont régulièrement sélectionnés à Cannes mais aussi à la Mostra de Venise.
Intello, Cronenberg ? Sans doute. Mais force est de constater que ses thèmes de prédilection, pour ne pas dire ses obsessions, n’ont pas varié d’un iota depuis ses débuts en 1970 avec un film (son deuxième long-métrage, en fait) dont le titre n’était autre que... Crimes Of The Future ! Et même si officiellement le film de 2022 n’a aucun rapport avec celui de 1970, on ne peut manquer de se souvenir qu’il était question de femmes développant d’étranges nouveaux organes.
Cette fois, cependant, le contexte est différent. Sous l’effet des biotechnologies, de la pollution et du changement climatique, l’humanité à évolué. La douleur a disparu (sans qu’on nous explique si c’est une évolution voulue ou subie) et la chirurgie sans anesthésie devient de ce fait à la fois une forme d’expression artistique (discutable, certes, mais bien réelle dans le film) et le moyen de vivre des sensations un peu plus fortes qu’à l’accoutumée, en l’absence de douleur... et de plaisir (d’où la réplique de Kirsten Stewart "la chirurgie est le nouveau sexe" ?
Si le film ne manque pas de sens et d’interprétations possibles, on pourrait toutefois lui reprocher de se concentrer sur quelques personnes, généralement dans des lieux clos. Si cela contribue à créer une ambiance à la fois glauque et pesante, cela nous laisse un peu (et même beaucoup) sur notre faim de connaissances quant à ce monde qu’on ne peut qu’essayer d’imaginer, faute de le voir et d’en savoir plus. Quid de la civilisation, de la société des gens "normaux", s’il en reste ? En se concentrant sur des personnages qui représentent une certaine élit intellectuelle et artistique, il en oublie de nous livrer les enjeux concernant le reste (immensément majoritaire) de la population, et c’est bien dommage !
On peut se demander s’il s’agit d’une forme de paresse, Cronenberg se désintéressant du pourquoi et du comment, préférant se concentrer sur le présent, peut-être par facilité... On peut aussi se demander s’il n’a pas voulu nous livrer un "produit" adapté à l’air du temps, en signant un film à la morale finalement très écolo. Si c’est le cas, pas étonnant qu’il ait la "carte" à Cannes et de manière plus générale dans tous les mieux intellos du cinéma européen ! Mais on ne peut pas non plus considérer que le film soit totalement déconnecté de la réalité car la tendance de certains marginaux (marginaux pour l’instant...) à s’auto-mutiler et à se faire implanter différents accessoires (je ne parle pas ici de chirurgie esthétique classique mais bien de pratiques assez extrêmes et dont l’esthétisme est très discutable), existe bel et bien déjà dans nos sociétés.
Mais même avec ces quelques réserves... quel talent pour nous mettre mal à l’aise ! Quel talent pour créer des situations toutes plus glauques les unes que les autres ! Quel talent pour tirer le meilleur d’acteurs et d’actrices qu’on pourrait croire assez médiocres (comme Kirsten Stewart, qui livre une prestation remarquable, même si c’est moins vrai avec l’inexpressive Léa Seydoux...) ! Et quel talent pour réaliser un film qu’on n’a pas vraiment envie de revoir... mais dont on se souviendra longtemps. Non, vraiment, depuis Rage, Frissons, Chromosome 3, Cronenberg n’a rien perdu de sa férocité, ni de ses obsessions pour les mutations et les transformations les plus bizarres du corps humain (Videodrome, La Mouche, Le Festin Nu, eXistenz) ainsi que ses rapports avec la technologie. Et ses fans de la première heure seront heureux de le retrouver dans le registre qui a fait sa gloire.