Battle Royale
Dans le domaine de l’ultraviolence, il y a eu Orange Mécanique, puis Mad Max ... et il y a désormais Battle Royale. Le public jeune ne s’y est d’ailleurs pas trompé : le film est devenu rapidement "culte" ! Oubliez donc tout ce que vous savez, ou croyez savoir, sur le cinéma japonais... il n’y a guère de naïveté dans Battle Royale, guère de poésie non plus. Il y a en revanche des ambiguités, beaucoup d’ambiguités, et de nombreuses questions ! D’où cet article, un peu plus long que la moyenne ...
Chercher à décrypter Battle Royale n’est pas chose facile. En dépit d’une extrême simplicité apparente du scénario, les interprétations sont nombreuses...
De quoi s’agit-il ? Dans un avenir proche, la société s’éffondre et les adultes en viennent à craindre les jeunes. A titre de symbole, une nouvelle loi crée un jeu auquel doit participer chaque année une classe de troisième, tirée au sort. Les règles du jeu sont simples : le jeu s’arrête lorsqu’il ne reste plus qu’un survivant ... Cette forme de sélection un peu particulière est censés produire un individu qui deviendra un adulte sain, qui recevra à vie une pension de l’Etat.
On peut déjà s’interroger sur le début du film, qui se déroule dans une école, dans laquelle les élèves décident de sécher les cours quand bon leur semble, et dont l’un des élèves poignarde son professeur... Pour un occidental, il s’agirait presque de faits divers quasi-routiniers ! Mais pour un japonais, c’est probablement une vision de l’esprit particulièrement cauchemardesque. Fukasaku exprimerai-t-il une crainte de voir la société japonaise "s’occidentaliser" ? Peut être ...
Quoi qu’il en soit, la "punition" ne tarde pas à tomber. Partis en car en voyage de fin d’année, les 44 élèves de la classe sont gazés et se réveillent sur une étrange île déserte, pour découvrir qu’ils vont participer à Battle Royale. Et le superviseur du jeu n’est autre que ... Monsieur Kitano, le professeur poignardé, interprèté par l’excellent Takeshi Kitano.
Et là, ça commence à décoiffer ! Les élèves ne tardent pas à comprendre que les règles du jeu ne sont plus du tout celles de l’école. Fini, le laxisme ... Kitano est entouré par de nombreux militaires armés, et la moindre tentative de rebellion est sévèrement réprimée. Une vidéo est alors diffusée, dans laquelle une présentatrice présente joyeusement les règles du jeu, comme s’il s’agissait de La Roue de la Fortune ou de Qui Veut Gagner des Millions ...
Là encore, nouvelle interrogation : Pourquoi Kitano interprète-t-il un personnage qui porte le même nom ? Fukasaku ne dénoncerait-il pas au travers de ce film les travers de la téléréalité ? Peut être aussi ...
Et le jeu commence... Chacun des 44 élèves reçoit un paquettage dans lequel se trouve un "kit de survie" et une arme ... 44 armes différentes, tirées au hasard. Et aux élèves de la classe de troisième se joignent deux candidats "volontaires", plus âgés, l’un habillé de noir, l’autre habillé de blanc (on retrouve là le symbolisme japonais classique). Chaque élève a autour du cou un collier dont l’explosion peut être déclenchée à distance (procédé déjà vu dans des films tels que Wedlock ou Fortress)... ceci au cas où certains refuseraient de respecter les règles en concluant une trève, par exemple. Et pour favoriser les affrontement, des zones de l’île sont régulièrement déclarées interdites, ce qui conduit inéluctablement les élèves à se rapprocher les uns des autres pour mieux s’entretuer.
Le jeu est vite lancé... entre ceux qui tuent par lâcheté, et ceux qui semblent y prendre un certain plaisir, le décompte macabre démarre très vite. Certains vont même refuser de jouer, et se suicider ...
Ces règles du jeu soulèvent une nouvelle question : Fukasaku ne dénoncerait-il pas dans ce film le système éducatif japonais, dans lequel une compétition féroce met une pression très forte sur les élèves dès leur plus jeune âge, à tel point que le taux de suicide est au Japon anormalement élevé ? Peut être bien aussi ...
Une classe de 44 élèves... Cela semble peu, mais lorsqu’un réalisateur décide de vous faire assister à la mort de chacun d’entre eux ... on réalise très vite que cela représente beaucoup de monde ! Chaque mort est d’ailleurs affichée à l’écran. Garçon numéro 26, fille numéro 12 ...
On ne peut s’empêcher de penser, à plusieurs reprises au cours du film, à la série Le Prisonnier. On est là aussi dans une situation proche de l’absurde. Les élèves, comme les habitants du Village du Prisonnier, sont numérotés. Comme dans le Village, ils sont espionnés en permanence, non pas par des caméras mais par leur collier. Comme dans le Village, des hauts-parleurs permettent aux autorités de diffuser des messages. Et comme dans le village, on retrouve une bande son en total décalage avec les atrocités montrées à l’écran (une musique est d’ailleurs reprise d’un épisode du Prisonnier).
A un moment, l’élève volontaire habillé de noir (le méchant, donc !)récupère les armes laissées par ses victime ... il choisit en priorité les armes à feu, puis les armes blanches ... mais jette négligemment le nunchaku, qu’il juge inutile ! Simple clin d’oeil d’humour noir ou symbole d’un rejet des valeurs traditionnelles du Japon ?
Dans ce cas, Battle Royale ne serait-il pas une critique d’une société deshumanisée, froide, perverse, qui a oublié ses racines, ses traditions et ses valeurs ? Peut être aussi ...
On le voit, il y a plus, beaucoup plus, dans Battle Royale que 44 meurtres. On aurait pu aussi évoquer le conflit des générations, ou les aspects politiques (dans le roman dont le film est inspiré, il s’agit d’une dictature assez proche de celles de romans tels que 1984). Pourtant, toutes ces questions ne sont que suggérées, et n’alourdissent à aucun moment le film, dont le rythme est infernal, et le réalisme assez terrifiant : ici, pas de scènes de kung fu, pas d’exploits surhumains des héros ... les victimes n’échappent pas longtemps aux balles tirées !
Quant à la fin ... sans la dévoiler (ce serait dommage !), elle est surprenante. Le dessin aussi naïf que déconcertant de Kitano laisse suggérer la folie ... de même que le visage transformé du "méchant"...
Bref, Battle Royale a tout d’un grand film. Batlle Royale EST un grand film.
D’ailleurs les américains, qui ont pourtant pris l’habitude de faire un remake systématique des plus grands succès du cinéma fantastique asiatique (The Ring, Dark Water,The Eye ...) ne se sont pas risqués à tenter un remake de Battle Royale...
Comme disait Desproges : étonnant, non ?