La Forme De L’Eau
En pleine guerre froide, Elisa vit seule et a pour seuls amis une collègue de travail et surtout son voisin de pallier, un vieil homosexuel récemment licencié. Muette, elle travaille au service d’entretien d’un laboratoire américain qui vient de récupérer une mystérieuse créature amphibienne. Peu à peu, Elisa se lie d’amitié avec l’amphibien. Mais ce dernier devient le sujet d’expériences douloureuses, dans l’optique de l’envoyer éventuellement dans l’espace, dans le cadre de la course à laquelle se livrent l’URSS et les Etats Unis. Mais le colonel Strickland qui dirige les recherches préfère se venger de la créature, qui lui a arraché deux doigts. Il finit par obtenir du responsable du laboratoire qu’une vivisection de l’amphibien soit ordonnée. Elisa décide alors d’essayer de le faire évader, avec l’aide d’un scientifique qui est en réalité un espion russe...
De l’oeuvre de Guillermo Del Toro, on ne retiendra certainement pas Pacific Rim, ni Blade 2, pas plus sans doute que Hellboy et sa suite, même s’ils étaient plutôt réussis et divertissants. En revanche, on se souviendra de Cronos, de L’Echine Du Diable et du Labyrinthe de Pan, des films bien moins "grand public", mais très personnels, dotés d’un scénario original porteur d’un message, et visuellement superbes. La Forme De L’Eau appartient clairement à cette dernière catégorie, venant après un Crimson Peak qui était lui aussi un retour aux sources, mais moins réussi.
Difficile, lorsqu’on découvre l’amphibien, de ne pas penser au personnage d’Abe Sapien (vu dans Hellboy et Hellboy 2, et d’ailleurs interprété par le même acteur, Doug Jones !), qui lui-même évoquait celui du film des années 50 L’Etrange Créature Du Lac Noir. Mais peu importe, l’intérêt de La Forme De L’Eau est ailleurs.
Guillermo Del Toro n’a en effet pas voulu réaliser un film fantastique comme les autres, ni un film d’horreur et encore moins un film d’action. On est plutôt ici sur une fable, un conte, sur le thème de la différence. Car la différence, on la retrouve partout dans le film. Avec la créature bien entendu, avec Elisa, qui est muette. Avec son ami homosexuel, avec sa collègue de travail Zelda, qui est noire. Avec le docteur Hoffstetler, qui est russe (et qui va lui aussi prendre le parti de la créature, contre l’avis de ses compatriotes). Avec les personnages de deux femmes dominées par leurs maris (Zelda et la femme de Strickland). Et même avec le personnage de Strickland, qui se retrouve lui aussi rapidement isolé par une forme de démence...
Et quoi de mieux, pour un film sur la différence, qu’une histoire d’amour a priori impossible entre deux êtres que tout semble opposer ? On dira "semble", sans plus de commentaires, pour éviter de "spoiler" celles et ceux qui ne l’auraient pas encore vu...
Pour le reste, Guillermo Del Toro frise la perfection, avec une reconstitution de l’Amérique des années 50/60 qui n’est peut êttre pas celle de la réalité, mais qui est celle qui est dans nos mémoires, avec des moments de pure poésie cinématographique (notamment la scène dans laquelle Elisa inonde volontairement sa salle de bain), avec un casting parfait et pourtant dépourvu de stars... et avec une esthétique et une ambiance qui évoquent résolument le cinéma européen (voire français...), loin des canons hollywoodiens.
Vous l’aurez compris, La Forme De L’Eau ne ressemble à aucun autre film, qu’il soit ou non signé Guillermo Del Toro. Il a d’ailleurs remporté la bagatelle de 4 Oscars : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleurs décors et meilleure musique ! Et peut-être plus fort encore, il est devenu le premier film fantastique à remporter le Lion d’or à la Mostra de Venise 2017, une récompense généralement attribuée à des films... comment dire ? ... généralement très éloignés de ceux primés par Hollywood. Un véritable exploit !